Wednesday, March 28, 2007

Le Rap au Sénégal : la revanche des marginaux

Cet article a été pour la première fois publié sur www.joko.sn en 2001. Il a été entretemps repris et publié par www.senerap.com
Le site de Joko n'étant plus en ligne, je le post dans mon blog...

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Le Rap au Sénégal : la revanche des marginaux

A sa naissance, le rap a exclusivement servi à la minorité noire américaine d’exprimer son ressentiment face à une société dont les institutions se disaient démocratiques alors que dans la réalité, elles ne faisaient qu’amplifier les rivalités et l’écart entre les noirs et les blancs. Le rap apparut alors comme un refuge pour tous ces jeunes au bas de l’échelle sociale qui tentaient de survivre dans un environnement gangrené par des préjugés raciaux, sous l’emprise de la pauvreté, la violence et la drogue.

Au Sénégal, le rap a plutôt eu des airs d’exutoire pour des jeunes, le plus souvent, des rejets du système scolaire. Leur colère et leur ressentiment ont été attisé par l’oisiveté dont ils étaient victimes et par l’impunité accordé à une couche de la population. Le rap a dès le début servi à dénoncer toutes les tares d’une société sénégalaise en pleine mutation, une société plus prompte à imiter naïvement les dernières tendances européennes ou Américaines que de s’inspirer de sa richesse culturelle dans laquelle les occidentaux eux-mêmes viennent puiser la spiritualité et la vérité qui avaient fini par disparaître de leur vie à cause d’une focalisation irréfléchie sur le matérialisme. D’où le leitmotiv commun à tous les titres rap (lyrics) "ku xamul fa nga jëm delul fa nga joge" (Si tu ne sais plus où tu vas, retournes d’où tu viens).

Les politiciens, qui sont de tout temps intouchables, deviennent despunching-balls pour ces jeunes, victimes d’un mal de vivre, inquiets de leur avenir mais aguerris par de multiples et fréquentes épreuves, et surtout déterminés à "éduquer" leurs aînés. Nul n’est à l’abri de leurs sermons, qu’il soit père de famille, chefs religieux ou coutumier, une véritable révolution sociale voit le jour. Leur langue "acérée" déverse chaque jour un peu plus des messages de plus en plus engagés jusqu’à tomber dans une violence verbale qui paradoxalement n’incite nullement à la violence physique. Le rap s’impose progressivement avec une impressionnante richesse artistique dans des styles variés mais tous originaux qui partent des airs soft, langoureux et mélodieux des "possees" comme Sunu flavour, jusqu’à celui volontairement provocateur de ceux qui se sont autoproclamés défenseurs du "hard core" (noyau dur) comme le Rapadio. Pour la première fois des jeunes osent s’attaquer à la configuration de la société qui cautionne certaines pratiques indécentes parceque fermant les yeux sur leur réalité pour des soi-disant raisons de "soutoura" (pudeur) ou de "kersa" (discrétion). Les rappeurs refusent d’optempérer. Point de complaisance pour aborder des problèmes d’une société qui nage dans ses propres contradictions, ses silences coupables, ses hésitations.

Rien ne peut arrêter ces jeunes, qui vont jusqu’à s’inspirer des textes coraniques pour mieux légitimer leurs diatribes et inviter à une spiritualité plus saine, plus authentique. Le régime politique qui était en place depuis l’indépendance qui ne trouvait plus de répondant au sein d’une jeunesse désœuvrée en a fait les frais ; ces rappeurs qui auraient pu lui servir d’indicateur s’il était un peu plus attentif à leur cri de cœur ont grandement contribué à sa chute. Ceux qui croyaient que le hip hop était juste une saute d’humeur, un phénomène passager ont vite fait de se faire une autre idée. Le rap n’a rien d’une mode, c’est un état d’esprit, une philosophie, une arme que les "sans voix" et les laissés-pour-compte se sont appropriés pour dénoncer l’injustice. Le rap participe à donner aux jeunes une identité, un sentiment d’appartenance à un escadron de "soldats du microphone" (selon l’expression du Daara J) éclairés, investis d’une mission sociale, civique, voire divine auprès des leurs. Ils veulent reconquérir les valeurs africaines menacées d’aliénation et de désintégration.

Ils s’habillent certes comme les jeunes noirs de New York ou Los Angeles (jungles, baskets, casquettes…), parlent comme on le fait dans les ghettos ("n**gers", "f...", "motherf..."…) ils demeurent néanmoins entièrement préoccupés par leur quotidien.

Daouda NDAO
© www.joko.sn

1 comment:

Anonymous said...

Good for people to know.